Les directeurs en ont plein le cartable ! Et s'estiment les oubliés du nouveau ministre Vincent Peillon.
Lu: Journal l'UNION-L'ARDENNAIS (Samedi 10 novembre 2012)
Surcharge de missions (pédagogiques et administratives), diminution voire disparition des personnels censés les aider dans leur tâche : les directeurs d'école lancent un SOS pour « souffrance au travail ».
CE jour-là, ils sont une dizaine dans la salle de réunion du Syndicat des enseignants (SE-UNSA), rue de Tivoli, à Charleville.
L'échange tient à la fois de la psychothérapie de groupe et du mini-conseil de guerre pour envisager « les actions à mener », afin que « ce malaise en train de se transformer en souffrance au travail » soit enfin reconnu et combattu.
C'est la secrétaire départementale, Pascale Commas qui mène les débats.
Denis, Véronique, Sophie, Benoît et les autres sont devenus directeurs par vocation ou - ils l'admettent - parce que cela pouvait, le cas échéant, accélérer leur mutation.
« Preuve du malaise, car, sinon, les candidats ne se bousculent plus au portillon. Pis, lors d'un récent stage de recyclage destiné à des directeurs en poste depuis dix ans, nous n'étions plus que seize sur une promo de cinquante ! Il y a de plus en plus de collègues directeurs qui préfèrent retrouver un poste normal, voire de remplaçant, plutôt que de continuer à assumer une telle galère. »
La goutte d'eau qui fait déborder le vase : la non-reconduction des contrats des assistants administratifs.
Des contrats à durée limitée
L'enquête du syndicat a mis au jour des chiffres significatifs dans les Ardennes : « 53 % des écoles en sont aujourd'hui dépourvues. D'ici quatre mois, cela risque de grimper à 90 %, car aucune réserve budgétaire n'a été prévue », explique Pascale Commas, qui précise : « Sur les 47 % d'écoles qui disposent encore d'assistants administratifs, il s'agit, pour deux tiers, de postes à temps partiel (de 6 à 12 heures hebdomadaires)…»
C'est en 2006 que le ministre De Robien avait acté et une revalorisation financière pour les directeurs, et la création de ces postes d'assistants, généralement sous la forme de contrats aidés de droit privé à durée limitée (pourvus par des demandeurs d'emploi, de niveau d'étude variable).
« C'est d'abord inadmissible pour ces personnes. Et pour nous ensuite : nous passons des semaines à former des gens qui, au bout du compte, se retrouvent eux-mêmes dans la précarité et, nous, on est obligés de pourvoir à ce travail au détriment de nos autres missions, et de notre santé. »
« On ne s'en sort plus »
C'est pour les directeurs qui ne disposent que d'une décharge partielle (en général un quart de leur horaire hebdo) que la situation est la plus tendue.
« On est la plupart du temps en classe devant nos élèves, mais on doit aussi répondre au téléphone, gérer les absences des élèves - toutes classes confondues -, car nous serions responsables (en tout cas moralement) si un gamin faisait une fugue sur le trajet, remplir des tonnes de formulaires et répondre à des enquêtes de notre hiérarchie, animer l'équipe pédagogique, gérer les relations avec la mairie (notre collectivité de rattachement), mener à bien les projets d'école, les voyages, les sorties, assurer les rendez-vous avec les parents… Quand on ne nous demande pas d'être des managers ! » Et encore, c'est une liste non exhaustive !
« Quand on est en zone prioritaire ou quand on a dans l'école un enfant qui rencontre un problème, alors, là, on ne s'en sort plus… »
Or, et c'est une constante selon les spécialistes qui se sont penchés sur la question de la « souffrance au travail », les directeurs ont le sentiment que personne n'entend leurs difficultés. « Pour tous les acteurs extérieurs, on ne conçoit pas d'école sans directeur. Et sans lui donner les moyens de faire son boulot. Sauf pour notre hiérarchie visiblement (qui oublie que nous n'avons pas le même statut que nos collègues du second degré). Et sauf pour notre ministre… Nous sommes les oubliés de la refondation ! » Ce malaise et ce « mal-être » ont des répercussions aussi d'ordre privé. On ignore (en raison notamment du secret médical, évidemment) le nombre exact de directeurs faisant ou ayant fait l'objet d'arrêts-maladie. « Et, puis, il y a aussi nos proches ! Combien de fois ai-je entendu : mais que fais-tu à l'école un dimanche ? »
« Nous sommes d'autant plus malheureux que nous aimons notre métier », remarquent enfin les dirlos qui ont le blues de porter une blouse plus assez large.
« T'as voulu le poste ? Alors… »
« Et, en plus, on nous culpabilise. A propos des postes d'assistants, on nous explique parfois qu'il vaut mieux les affecter à l'accompagnement des enfants handicapés. Mais l'un et l'autre sont nécessaires. Mieux : il doit s'agir d'emplois pérennes. »
Et de redouter, au passage, que faute de crédits, l'Etat ait bientôt la tentation de s'en remettre aux collectivités (elles-mêmes étranglées) pour financer ces postes (qui ne devraient pas, a priori, entrer dans le cadre des emplois d'avenir récemment adoptés).
A terme, une fois centralisées les revendications et les suggestions d'action au niveau national, le SE-UNSA déclinera, dans le département, les opérations envisagées. Des courriers ont été adressés aux parlementaires, des motions votées en conseil d'école. « Mais ça ne suffit pas… » devinent-ils déjà.
Pis, parfois, les directeurs constatent, avec dépit, que l'extérieur est plus sensible à leur désarroi que leurs propres collègues… non directeurs. « C'est rare. Mais parfois, alors qu'on souhaiterait déléguer un peu de notre mission, on constate que leur premier réflexe est de nous répondre : « T'as voulu le poste, eh bien, débrouille-toi ! »
Philippe MELLET (Journaliste: Journal l'UNION-L'ARDENNAIS)
Cela fait bien longtemps que les Dirlos ne portent plus la blouse.
Aujourd'ui, ils portent le blues.
(Eric HEBRARD Secrétaire Régional UNSA Champagne-Ardenne)